Les bookmakers catégorisent-ils les parieurs en « requins » et « pigeons » ?
Alors que les publicités encourageant à miser sur la Coupe du Monde de football au Qatar pullulent, les sites de paris sportifs, de leur côté, limitent ou bloquent certains paris de joueurs à succès, et il semblerait que ce soit en toute illégalité…
Depuis quelques années maintenant, les reportages se multiplient pour dénoncer une pratique très controversée des bookmakers : la classification des parieurs en « requins » et « pigeons » en fonction du fait qu’ils rapportent ou non de l’argent à la plateforme de paris sportifs. Toutes les explications ci-après !
L’incitation quotidienne aux paris sportifs
Il est vraiment difficile de passer à côté : que vous attendiez à un arrêt de bus ou sur un quai de métro, les panneaux d’affichage XXL incitant aux paris sportifs sont légion.
Ils sont aussi bien présents à la télévision : les publicités pour les paris sportifs en ligne sont maintenant partout.
Le discours est bien rodé et le scénario orienté le plus souvent pour s’adresser aux hommes de 18 à 35 ans, bref les jeunes.
Ces spots de pubs reprennent d’ailleurs, la plupart du temps, les codes des quartiers populaires, et laissent espérer aux connaisseurs de foot un appât du gain facile (ce qui est faux sur le long terme), en quelques clics, grâce à leur smartphone.
Et cette propagande fonctionne très bien : des milliards d’euros sont misés chaque année dans les paris sportifs.
Pourtant, comme toute chose qui peut paraître trop belle, ces séduisantes publicités cachent une sombre réalité…
En interne, la majorité des bookmakers de paris sportifs font en sorte de limiter les joueurs qui gagnent trop souvent (appelés « requins ») par divers artifices bien huilés.
Les opérateurs peuvent même aller jusqu’à les bloquer pour les empêcher de parier et ainsi, éviter qu’ils encaissent encore des gains.
À l’inverse, les parieurs perdants, les « pigeons » en fait, sont plutôt incités à jouer, toujours un peu plus, quitte à ce qu’ils sombrent dans l’addiction aux paris et qu’ils s’endettent pour le restant de leur vie.
Oui, vous avez bien lu… Il existe même des joueurs qui contractent des crédits pour parier ou jouer à des jeux d’argent en tout genres.
Êtes-vous un « requin » ou un « pigeon » des sites de paris sportifs ?
Sur les forums et les réseaux sociaux, ils sont de plus en plus nombreux à se plaindre des pratiques des opérateurs de paris sportifs : « c’est un peu comme au Far West, on a le sentiment d’être face à une mafia contre laquelle on ne peut rien faire », s’agace l’un d’entre eux.
« Vous avez le droit de rafler la mise si vous faites n’importe quoi ou que vous avez de la chance, car les sites de paris savent que sur le long terme, vous ne serez pas rentable. Mais si vous réfléchissez et jouez intelligemment, là alors on nous bloque… », s’insurge un autre parieur.
Et le pire intervient quand d’anciens « traders » (le terme est identique au milieu de la finance) de ces plateformes viennent confirmer les soupçons des parieurs.
Nombreux ont témoigné qu’effectivement, ils étaient chargés de fixer les cotes, définir les favoris entre autres et, bien sûr, « brider » les comptes des parieurs trop gagnants…
Ils décrivent des protocoles bien rodés, dans lesquels les parieurs sont classés selon leurs résultats de A à E : chaque catégorie bénéficie d’une limitation de paris qui lui est propre.
La catégorie A par exemple représente les « pigeons », les parieurs qui perdent régulièrement de l’argent, bref ceux qui font grossir les comptes bancaires des bookmakers. Voici une exception quand même dans la jungle des paris sportifs !
Les « pigeons » sont plutôt bien « traités » par les opérateurs, on les laisse parier ce qu’ils veulent étant donné qu’ils font gagner à profusion de l’argent aux bookmakers.
C’est quasiment le même schéma pour les parieurs des catégories B et C, ils sont dans le vert pour les opérateurs. En clair, ce sont aussi des « dindons de la farce », mais dans une moindre mesure.
Ce n’est en revanche pas la même chose pour les catégories D et E, à savoir les « requins ». Ces joueurs-là gagnent majoritairement de l’argent sur le long terme et font donc perdre les bookmakers. Ces derniers s’en méfient… comme la peste.
Et c’est pour cela qu’à chaque fois que les « requins » veulent faire des paris sportifs, ils sont la plupart du temps bridés ou carrément bloqués pour parier.
Ils n’existeraient apparemment qu’une centaine de parieurs concernés par ces limitations et qui sont sous surveillance permanente des opérateurs.
Malgré tout, ces pratiques aussi bien pour les « requins » que pour les « pigeons » restent totalement illégales, mais toujours en vigueur…
Le Conseil d’État tente de clarifier les pratiques illégales des sites de paris sportifs agréés en France
L’ANJ prend position :
Les bookmakers ne se cachent même pas de pratiquer des limitations ou blocages de comptes…
Pire, certains, comme le site Winamax par exemple, ont écrit dans leurs conditions générales d’utilisation de leur plateforme : « l’opérateur se réserve le droit de fixer des limites de mises différentes en fonction du type de match ou de pari, du profil du joueur et de ses comportements de jeu ».
Pourtant, l’ANJ (l’Autorité Nationale des Jeux), dont la préoccupation principale est de réguler les jeux d’argent en ligne en France, a tenté de dénoncer à plusieurs reprises, et ce depuis plusieurs années, ces pratiques discriminatoires.
L’ANJ (anciennement nommée ARJEL) fait même référence au code de la consommation, car elle l’estime réglementaire lorsqu’on évoque les jeux d’argent.
En effet, ce code exclut « de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service », sauf pour « motif légitime ». Sans oublier qu’il faut être en plus capable de le prouver…
La réponse du Conseil d’État :
En 2021, le Conseil d’État a légiféré sur ce point particulier et a confirmé que le code de la consommation était totalement applicable au sujet des jeux d’argent.
Il a également débouté les bookmakers de paris sportifs qui n’étaient pas d’accord sur ce fait et s’y opposaient.
Les avocats spécialisés dans ce domaine se sont alors réjouis de cette prise de décision qui marque une avancée majeure ! Aujourd’hui, cela permet d’assimiler toutes ces limitations à un simple refus de vente.
Certains juristes ont d’ailleurs été saisis pour des centaines de litiges mettant en cause les différents bookmakers pour des limitations abusives de paris sportifs.
À ce sujet, un avocat explique : « c’est la même chose que si vous alliez au supermarché, que vous preniez 20 paquets de biscuits, et qu’à la caisse on vous expliquait que comme vous avez l’air de faire 130 kg, vous avez déjà assez profité et donc par prévention, vous ne pouvez en prendre qu’un seul » !
On ne change pas facilement les habitudes…
Dans les faits, la décision du Conseil d’État n’a absolument rien changé… Depuis des années maintenant, quasiment l’ensemble des bookmakers et tipsters ont mis en place des systèmes semblables à celui de Winamax.
Par exemple, chez Unibet, un autre grand nom du milieu des paris sportifs, les parieurs ne sont pas catégorisés de A pour les « pigeons » à E pour les « requins », mais plutôt par couleurs ! Ce qui revient au même…, non ?
Un ancien trader de Unibet a d’ailleurs fait quelques révélations : « on pouvait diminuer jusqu’à 100 ou 200 fois la mise maximale d’un parieur qui réussissait régulièrement ses paris par rapport à un joueur normal. De nos jours, je ne connais pas un seul opérateur en ligne qui n’a pas recours à ce genre de limitation ».
Pour lui répondre, Unibet a tenté de préciser que « toutes les conditions que nous mettons en place sont disponibles de manière claire et transparente dans notre règlement de paris sportifs, en conformité avec la précision apportée par le Conseil d’État dans l’arrêt du 24 mars 2021 ».
Malgré ces paroles, l’opérateur Unibet n’a pour autant jamais nié utiliser une quelconque classification selon la rentabilité des joueurs !
À savoir qu’une attention particulière doit être portée sur les parieurs classifiés sur « pigeons » plutôt que sur « requins ».
En effet, malgré le fait que l’ANJ demande aux bookmakers et autres tipsters farfelus de signaler les joueurs présentant une potentielle addiction, ces derniers semblent préférer à les inciter à parier, encore et encore…
Bref, ce sujet brûlant reflète bien toute l’hypocrisie des opérateurs de paris sportifs ! On est alors bien loin du rôle bienveillant qu’ils tentent de se donner grâce à leur campagne contre l’addiction aux jeux, où notamment en France, devient un réel fléau exponentiel.